Afford@nce
Apprentissage en Face à Face et par l'Ordinateur en Réseau selon un Design écologique pour l'Avancement iNtentionnel de Communautés Emancipatrices

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À propos du concept d'affordance

Historique et définition

Le terme «affordance» n’existe pas dans les dictionnaires français, pas plus qu’il n’existe dans ceux qui sont en anglais d’ailleurs! Le concept a été forgé par James J. Gibson dans les années 1970 à partir du verbe «to afford» pour représenter les propriétés de notre environnement qui, lorsqu’elles sont perçues, nous poussent à agir. Un exemple classique d’affordance est celui de la chaise qui, par sa forme, nous incite à s’y asseoir. En fait, pour être plus juste, il faudrait mentionner que c’est la forme de la chaise qui est incitative, mais aussi la perception de l’individu qui, se faisant, déterminera si une action pourra être posée avec l’objet en question. En d’autres termes, un bébé ne sera pas nécessairement en mesure de s’asseoir sur une chaise semblable à celle d’un adulte compte tenu de ses caractéristiques différentes. Ainsi, à proprement parler, une affordance est une interaction qui s’établit entre l’environnement et un individu. Cette interaction n’est pas forcément planifiée – au contraire diraient certains auteurs – elle survient de façon naturelle, spontanée, lorsqu’il y a concordance entre les caractéristiques de l’environnement et celles d’une personne. Pour limiter la possible confusion, on aurait d’ailleurs peut-être intérêt à parler de «situation d’affordance» (malgré le pléonasme apparent), qui semble mieux rendre compte de la dynamique relationnelle du concept, plutôt que du terme «affordance» qui peut laisser sous-entendre qu’il s’agit d’un objet.

Affordance et design

Dans les années 1980 et 1990, le concept d’affordance a été repris par des designers d’objets et d’environnements pour alimenter les questionnements à propos de ce qui doit être mis en place pour qu’un objet soit facile et évident à utiliser. C’est toute la question de la convivialité d’utilisation que cela a interpellée, par le biais notamment du courant de l’ergonomie cognitive. Le design centré sur l’utilisateur a gagné en pertinence, l’élaboration des devis se faisant désormais moins en vase clos.

Pour poursuivre à propos du design d’environnements, celui-ci fait référence aux environnements physiques qu’on retrouve en face à face, mais aussi aux environnements numériques puisque l’utilisation des ordinateurs était en croissance dans les années 80. Des concepteurs de logiciels se sont aussi inspirés du concept d’affordance pour chercher des façons de rendre plus abordable l’utilisation de leurs outils informatiques. On a qu’à penser à la métaphore du bureau de la compagnie Apple sur ses ordinateurs McIntosh qui permet de percevoir à l’écran un environnement semblable à celui qu’on retrouve en contexte de travail en face à face. À ce niveau, c’est l’interaction entre la personne et la machine qui est la première préoccupation et il est compréhensible qu’elle l’était à l’époque considérant l’émergence de l’ordinateur et le fait que son utilisation était loin d’être aussi évidente qu’elle ne l’est aujourd'hui.

Affordance et éducation

Au-delà de l'interaction personne-objet ou personne-machine: la dimension sociale

On sait que l'interaction sociale occupe une place importante dans le processus d'apprentissage. Dans ce contexte, le concept d'affordance prend un sens renouvelé, c'est-à-dire que ne sont plus considérés que les objets qui sont dans l'environnement, mais aussi les individus qui en font partie. L'intérêt du concept d'affordance ne se limite plus alors qu'aux possibilités offertes par un outil donné et à ce qui survient lorsqu'un individu l'utilise, mais aussi à ce qui se produit lorsqu'un individu interagit dans un contexte social donné, c'est-à-dire au sein d'une communauté d'individus partageant des valeurs, des pratiques, des normes, des routines, etc. On peut alors parler d'affordances sociales. Lorsque les outils technologiques sont mis à contribution par une telle communauté, ce sont les interactions personne(s) à personne(s) par le biais de la technologie qui deviennent centrales. Dans ce cas, on peut alors parler d'affordances socionumériques.

Le premier mandat du travail d’éducateur étant de soutenir l’apprentissage d’autrui, une question importante qui se pose est de savoir de quelle façon nous allons intervenir pour y parvenir. En ce sens, l’intervention éducative vise un changement, elle est intentionnelle, délibérée. On peut donc la considérer aussi comme un acte de design réfléchi. Or, le pédagogue qui s’inspire du concept d’affordance sait qu’il ne suffit pas d’élaborer une activité pour susciter l'engagement et un apprentissage durable. Il a tout intérêt à considérer la perception qu’ont les apprenants de l’environnement d’apprentissage puisque cette perception intervient dans la façon dont ils interagiront. Le design devient alors participatif, itératif, coconstruit, voire coélaboré. Certes, le pédagogue a des intentions et des objectifs qu’ils veut voir atteindre les apprenants, mais de quelle façon se soucie-t-il de la façon dont ses gestes vont s’arrimer à la perception des individus qu’il accompagne, de sorte à tendre vers une concordance naturelle? Comment porte-t-il attention autant à la façon dont pourra être reçu ce qu’il met à la disposition dans l’environnement qu’à cette mise en place en tant que tel? Comment anticipe-t-il l’allure de l’interaction qui prendra forme lorsque autrui sera sollicité par l’environnement d’apprentissage auquel il contribue de façon appréciable et dont il fait aussi partie?

De la contrainte à ce qui est possible

Une autre façon de parler du concept d’affordance consiste à le mettre en parallèle avec celui de contrainte. Ont parfois lieu dans des classes des activités qui exigent la réalisation de tâches dont les élèves ne perçoivent pas de sens, malgré les bonnes intentions qui ont mené à leur élaboration. Or, les élèves sont néanmoins contraints d’y prendre part et, dans certains cas, considérant la nature de la perception des élèves, ces tâches s’avèrent même être davantage une contrainte qu’une possibilité en termes d’apprentissage. Une question importante que cela pose est : qu’ont à offrir de telles tâches? Mais surtout, quoi faire qui puisse contribuer à transformer ce qui est perçu à prime abord comme une contrainte en possibilité d’action féconde et naturellement engageante du point de vue des apprenants. Cela fait partie des défis du design de situations d’affordances…

 

Stéphane Allaire, juin 2008